Rajagopal P.V. : plaidoyer pour "une économie non violente"

Il a déjà mené des millions de paysans pauvres et sans terre à travers l'Inde, lors des grandes marches Janadesh en 2007 et Jan Satyagraha en 2012, et a obtenu une réforme agraire.

Rajagopal P.V., le leader gandhien d'Ekta Parishad veut aujourd'hui aller plus loin en lançant Jai Jagat, une marche internationale qui reliera Delhi à Genève en 2019-2020, pour revendiquer "une économie non violente" pour le monde.

La marche veut interpeller les institutions  internationales - FMI, Banque mondiale, OMC, Nations unies - sur les conséquences sociales et environnementales du système économique  : surexploitation des ressources naturelles, disparition de la biodiversité, réchauffement climatique, enrichissement accru des riches et appauvrissement des pauvres.Un système qui aboutit à ce que seul 1% de la population mondiale détienne 52% des richesses du globe. 

L'Inde n'est qu'un exemple de "ce modèle économique agressif" qui "crée des déplacements forcés et envoie des millions de paysans vers les bidonvilles urbains", rappelle Rajagopal. Qui dénonce une violence d'Etat" qui favorise l'expropriation des paysans et des populations tribales (Adivasis), pour permettre à l'industrie de s'emparer des ressources en eau, en minerais et en bois.

La déforestation en Inde, par projet industriel
"Les déplacements d'Adivasis, de fermiers et de pêcheurs" au profit des projets industriels "sont massifs", dit-il, en dénonçant "une dérive à la brésilienne", où "seuls 20% des Indiens contrôlent les terres où vivent 65%" du 1,3 milliard d'Indiens.

Et dans un pays où les inégalités ont doublé en 20 ans, et où la croissance ne profite qu'à une minorité - les classes moyennes et supérieures - la situation de ceux qui vivent de l'agriculture "s'est aggravée : on compte maintenant 17.000 suicides de fermiers chaque année". Des fermiers endettés, qui manquent d'eau et ne parviennent plus à vivre de leurs récoltes, sur des exploitations dont la surface moyenne ne dépasse pas 2 hectares.

La force des pauvres 

Mais la marche va au-delà de l'ambition des précédentes, qui défendaient ces populations qui luttent pour leurs jal, jungle, zameen (eau, forêts, terres). Elle vise aussi à unir une majorité silencieuse qui se tait depuis toujours et "doit aujourd'hui comprendre sa force. Les pauvres représentent une force formidable, une richesse, quand ils sont réunis pour agir", dit-il.
Une force nécessaire face à "ce modèle émergent" de "gouvernements autoritaires comme en Turquie ou en Inde notamment" qui défendent un libéralisme agressif, dit-il.


 Jai Jagat, dans la lignée des grandes marches gandhiennes non violentes, partira de Delhi en octobre 2019 - pour le 150e anniversaire de la naissance du Mahatma - et devrait arriver à Genève en octobre 2020. Soit un parcours de 8.000 km à travers de 17 pays.

Le groupe initial de 150 marcheurs sera rallié par plusieurs milliers d'autres dans différents pays du globe, les organisateurs espérant mobiliser au total un million de personnes dans le monde.

 Un Forum social mondial itinérant 

Ekta Parishad et ses partenaires internationaux (Sol, Cedetim, Ekta Europe, les Sans Terre du Brésil, Via Campesina, South-South Solidarity, Gandhi International... ) veulent articuler cette marche avec la dynamique du mouvement altermondialiste, pour en faire un Forum social mondial itinérant.


Au fil des rencontres et des débats, chaque étape du périple apporterait ainsi un éclairage sur les conséquences du néolibéralisme sur la société civile. Une fois à Genève, une Assemblée des peuples plaidera alors d'une seule voix pour "une économie non violente" face aux institutions internationales. 

Une marche ne suffira évidemment pas à faire bouger le système économique mondial, mais l'idée est aussi de coordonner la dynamique des millions de transitions locales qui, partout dans le monde, mettent déjà concrètement à l’œuvre une autre logique économique et écologique.

De très nombreuses communautés locales ont déjà "repris en main leur destinée", rappelle en effet Rajagopal. Elles ont changé d'agriculture et de mode de vie, restauré leurs écosystèmes, éliminé la pauvreté et assuré leur autonomie alimentaire, énergétique et démocratique locale.

"Nous sommes donc à une époque intéressante pour essayer de changer les choses", car "les populations savent elles-mêmes comment atteindre les objectifs de développement du millénaire adoptés par l'ONU", résume-t-il. "Les gouvernements, eux, en sont incapables. Qu'on laisse donc faire les populations : qu'on leur laisse la liberté, la dignité, le respect. Il faut agir localement avec confiance", car c'est par "cette énergie du terrain, ce mouvement du bas vers le haut, que le changement viendra. A condition qu'aucun modèle venu d'en haut ne vienne écraser ces initiatives".

"Nous ne nous faisons pas assez entendre"  


La marche Jai Jagat veut contribuer à la convergence de ces actions : elle va "essayer de coordonner" les combats collectifs locaux, ainsi que les alternatives de terrain, ces millions de révolutions tranquilles qui changent déjà la vie de millions de personnes. Des luttes et des changements encore silencieux, mais "un des objectifs de la grande marche est aussi cela : que toutes ces petites voix s’unissent et créent UNE voix", dit-il.

Rajagopal, dont la vie est une succession de combats non violents, n'en doute pas : même si les évolutions du monde incitent au pessimisme, "nous sommes au bon moment pour agir, car les populations ne se sont jamais senties aussi concernées par le changement climatique et le niveau de violence dans le monde. C'est le moment de dire que le modèle actuel doit changer et qu'un autre mode de développement est possible. Nous sommes nombreux à le savoir, mais nous ne nous faisons pas assez entendre. Alors, nous allons le faire".



© Bénédicte Manier
(ce blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent aucunement l'AFP, où l'auteure est journaliste)








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